La Téléradiologie a fait partie des activités impactées par la situation sanitaire liée au COVID-19. Une situation qui a mis en exergue différentes questions : quels sont les enjeux de la téléradiologie ? Quel a été l’impact sur cette activité pendant la crise sanitaire ? Quels sont les prochains défis ?
Entretien avec Raphaël RUIZ, Directeur de la BU Téléradiologie NEHS DIGITAL
Quels sont les enjeux de la téléradiologie à ce jour ?
L’image de la téléradiologie, au départ, est plutôt restrictive : c’est l’exemple type du patient qui habite à Marseille, dont l’examen sera interprété à Rennes ou Strasbourg. Le principe originel de cette pratique est de s’affranchir des barrières kilométriques pour être en capacité de proposer des diagnostics, et offrir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire.
Permettre d’assurer un service sur l’ensemble du territoire national en respectant les spécificités locales est donc un des premiers enjeux de la téléradiologie. L’équipe NEHS DIGITAL a commencé la téléradiologie sur le périmètre national, tout en prenant en considération rapidement les besoins et exigences du territoire. Cet enjeu territorial est important : il est nécessaire aujourd’hui de proposer un service de téléradiologie de proximité avec des acteurs qui partagent le même contexte, connu et maîtrisé – centre hospitalier, GHT, département ou région.
Au départ, la téléradiologie a-t-elle été encouragée par des institutions ?
Lorsque nous avons commencé l’activité de téléradiologie, l’ensemble des instances de référence de la radiologie française ont fortement contribuer à l’organisation et l’encadrement de l’activité. Elles ont, pour cela, édité des recommandations pour cadrer cette pratique, avec notamment l’élaboration des guides de bonnes pratiques.
Les sociétés spécialisées dans la téléradiologie avaient été auditionnées par le G4 pour présenter leur projet respectif. Dans le cadre du démarrage de cette activité au sein de NEHS DIGITAL il y a une dizaine d’années en arrière, le centre hospitalier de Saint-Amand-Montrond a été un des premiers sites installés officiellement. Nous avions présenté le projet et nous avions été soutenus par l’ARS de la région centre.
Aujourd’hui il y a des usages à respecter, mais c’est surtout le bon sens et le respect du patient qui ont permis de construire la téléradiologie d’aujourd’hui.
Y-a-t-il une différence de besoins entre le public et le libéral dans le cadre de la téléradiologie ?
Le besoin qui amène à l’usage de la téléradiologie en France, en 2020, c’est la nécessité d’une part de faciliter l’échange d’expertise entre radiologues. D’autre part, le manque de radiologues et, en particulier, en milieu hospitalier, reste un des enjeux auquel la téléradiologie répond. Les radiologues ne sont pas là, pour des raisons essentiellement démographiques, avec une population médicale vieillissante. Aussi, le cycle de formation relativement long avec un nombre de radiologues diplômés trop insuffisant chaque année ne permet pas de couvrir l’ensemble des besoins nationaux. Cela concerne tant l’activité publique que l’activité libérale. Le rapport annuel du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers rendu en 2018 indiquait que depuis 2014, “5 spécialités se démarquent avec un taux de vacance statutaire élevé”, dont la radiologie et imagerie médicale pour 42,2% des postes vacants.
Pour le monde hospitalier, les enjeux porteront sur les deux types d’activités qu’il peut proposer, à savoir les vacations programmées dans le cadre de la continuité des soins et de la permanence des soins (pour assurer un service d’urgence par exemple).
- La téléradiologie peut permettre à un établissement en particulier, mais également à un GHT, une mutualisation des moyens. L’outil de téléradiologie va permettre à l’ensemble des établissements d’organiser un réel roulement coordonné des radiologues qui assureront, ainsi, la permanence des soins.
- De plus, la possibilité de proposer un service médical d’interprétation complémentaire peut permettre au GHT de disposer d’un vivier supplémentaire de radiologues avec la possibilité de bénéficier d’un second avis pour enrichir le diagnostic proposé. Egalement, si les ressources ne sont pas suffisantes au sein des structures hospitalières, ils ont ainsi la possibilité de faire appel à un radiologue provenant d’une structure libérale ou d’un hôpital voisin, qui assurera la vacation ou la permanence de soin selon les besoins.
Concernant les structures libérales, les usages peuvent être légèrement différents, même s’il reste de nombreux points communs avec le secteur public :
- Tout d’abord, si nous reprenons les besoins similaires, le secteur libéral a des difficultés à recruter des radiologues, de la même manière que dans le milieu hospitalier, qu’il s’agisse de recrutement ou de remplacement, dans le cas d’un départ à la retraite par exemple.
- Une problématique organisationnelle se rajoute, en particulier avec la gestion des congés. Ils ont alors besoin de faire appel à des remplaçants situés dans la même zone géographique, ou ailleurs sur le territoire pour assurer la continuité de leur service.
Avec l’arrivé des GHT nous avons pu constater une réelle volonté d’organisation publique/privée autour de la téléradiologie. La plupart des projets que nous avons concernent des établissements publics de santé qui ont besoin d’interprétation, et qui font appel à des radiologues libéraux ou hospitaliers par le biais de NEHS DIGITAL et son offre de service de télé-interprétation.
C’est ainsi que le GHT d’Armor qui regroupe 5 établissements a fait appel à nos services depuis plusieurs années maintenant. Une partie de leurs examens est interprétée par des professionnels de santé libéraux, situés en Bretagne de préférence. C’est un exemple type de la réussite d’une offre de soins territoriale s’appuyant sur la plateforme de NEHS DIGITAL.
D’autres exemples de projets plus conséquents nous confirment cette nécessaire collaboration publique/privée, avec près de 100 établissements pour lesquels cette situation peut s’appliquer.
Afin de contribuer à la permanence des soins en région PACA, le GHT13 a fait appel à l’offre de NEHS DIGITAL : le centre hospitalier d’Aix-en-Provence nous a fait confiance pour assurer une partie de son activité de permanence de soins. La plateforme de téléradiologie a été déployée et un groupe de radiologues locaux composé d’hospitaliers et de privés a été mobilisé pour interpréter les demandes qui viennent du centre hospitalier. Ce sont près de 4200 patients qui ont pu bénéficier du service de télé- interprétation de NEHS DIGITAL depuis sa mise en œuvre.
Par ailleurs, c’est dans un contexte sanitaire lié à l’arrivée de la COVID-19 que l’accès à la plateforme de téléradiologie a été mis en œuvre au CHU de Nîmes, cela a permis aux praticiens hospitaliers d’exercer leur activité d’interprétation à domicile afin d’assurer une partie de la permanence des soins en limitant les risques de contamination.
Quel lien y-a-t-il entre la téléradiologie et la téléinterprétation ?
Généralement le terme de téléradiologie regroupe ces deux concepts alors même qu’une distinction reste nécessaire :
- La téléradiologie est la mise à disposition pour un établissement, pour un GHT, pour une région, d’une plateforme d’échange qui va permettre aux acteurs de ces établissements de réaliser leur interprétation à distance et d’échanger sur un diagnostic.
- Le service de télé-interprétation c’est la capacité de proposer un service d’interprétation, c’est à dire des radiologues qui vont utiliser la plateforme de NEHS DIGITAL pour proposer leur temps intellectuel afin d’interpréter les examens des patients des établissements qui ont en besoin. Notre partenariat avec la société de médecins, TéléMédecins de France (TMF) a permis d’offrir ce service à valeur ajoutée aux établissements de santé publics et privés depuis plusieurs années.
Il s’agit ainsi de deux activités complémentaires. D’un côté, il y a une plateforme centralisée qui prend en compte l’organisationnel, la formation des utilisateurs, la production des statistiques, l’outil de viewer diagnostic, le workflow nécessaire. Et d’un autre côté, il y a un partenariat avec un groupe de radiologues qui est structuré, organisé de manière nationale et régionale, et encadré par des experts et des professeurs d’université qui sont renommés dans leurs domaines d’expertise pour garantir de la qualité médicale proposée.
Cette complémentarité est l’avenir de la téléradiologie dans le domaine hospitalier et libéral. Il est nécessaire aujourd’hui d’être en capacité de gérer le débordement d’activité, et prendre en charge l’interprétation de certains examens par un autre groupe de radiologues, ce qui va permettre de pallier le manque de disponibilités dans l’établissement concerné.
Dans le cadre du COVID 19, quel a été le rôle de la Téléradiologie ?
Tous les métiers et toutes les structures ont été mobilisés dans le cadre de la crise sanitaire COVID-19, l’activité de téléradiologie y compris. Dans ce cadre, plusieurs actions ont été réalisées.
L’équipe NEHS DIGITAL a, d’une part, adapté sa plateforme de Téléradiologie pour prendre en charge les nouvelles spécificités de l’examen du scanner thoracique. Nous avons tout de suite mis en place le compte- rendu type proposé par la SFR afin que les radiologues puissent avoir une démarche structurée et similaire.
Autre décision prise : nous avons mis en place un suivi d’activité spécifique pour les scanners thoraciques de suspicion de COVID 19. L’objectif ? Etablir des statistiques précises sur les examens qui ont été réalisés dans le cadre de la téléradiologie pour le COVID-19.
Cette crise sanitaire nous a clairement démontré que la téléradiologie, dans un contexte de confinement, est utile pour que les radiologues n’aient pas à se déplacer au centre hospitalier pour assurer une continuité de service.
Avec le recul, l’activité de téléradiologie, délaissée malgré tout pendant cette crise, aurait pu appuyer une partie de l’équipe médicale radiologique sur du suivi oncologique ou d’autres activités dites « classiques » pour qu’elle puisse se concentrer sur une activité plus spécialisée COVID 19.
Quel est l’impact sur l’activité de Téléradiologie ?
De manière immédiate, les décisions prises par le gouvernement ont induit la déprogrammation de la plupart des examens qui étaient considérés comme non urgents ou non obligatoires au profit d’examens permettant le dépistage de la maladie infectieuse. Ainsi, les autres examens, généralement réalisés dans le cadre de cette activité, n’étaient plus assurés.
En revanche, cette situation de crise sanitaire a permis de mettre en valeur un deuxième volet de la téléradiologie qui est plus en liaison avec l’IA et la R&D. Cela concerne la constitution d’une base d’examens thoraciques afin de pouvoir proposer à des radiologues, des chercheurs ou des sociétés spécialisées dans l’Intelligence Artificielle de développer des systèmes pour accélérer le diagnostic. Le projet FIDAC (Lien site à mettre) mené en partenariat avec la SFR a permis de proposer à l’ensemble des radiologues en France la centralisation de tous les scanners thoraciques des patients atteints du COVID 19.
Cette situation va permettre de faire progresser l’imagerie thoracique spécialisée COVID 19 précisément mais plus largement sur l’imagerie thoracique.
Post COVID 19, l’évolution de la téléradiologie va-t-elle évoluer ?
La téléradiologie est une activité qui de manière mécanique va se développer, pour des raisons en grande partie démographiques et géographiques. Il y aura une augmentation de cette activité sur les années à venir. Nous constatons aujourd’hui une évolution d’environs 20% par an du nombre d’actes réalisés en téléradiologie.
La situation exceptionnelle que nous avons vécue ces trois derniers mois a favorisé l’utilisation de la télémédecine en général, dont la téléradiologie est un usage. Cette activité a mis du temps à se développer avant cette crise sanitaire. Cette période aura réussi à faire prendre conscience à un très grand nombre que cette pratique est un formidable moyen d’assurer la continuité des soins aux patients sur l’ensemble du territoire national.